La croissance


Un opilion finissant sa mue. Cet autre arachnides montre la façon de muer, similaire, des araignées.
Poghju di Venacu, 1995.

La croissance est, comme pour tous les arthropodes, rythmée par les changements de cuticule : les mues.

À chaque prise de nourriture, les parties souples de la cuticule (abdomen) se tendent jusqu'à atteindre un maximum. L'épiderme développe alors, sous la cuticule déjà en place, une nouvelle épaisseur de tissus épithéliaux.

Dans un lieu abrité (loge de soie dite «chambre de mue» pour les araignées errantes, la tête en bas au bout d'un fil fixé à la végétation ou à la toile pour les autres) l'araignée reste alors immobile, les pattes pendantes.

La mue commence par le soulèvement du bouclier céphalothoracique à partir de sa jointure antérieure, puis ce sont les flancs de l'abdomen qui se fendent. Le sternum se dégage ensuite, et enfin les appendices du céphalothorax sont lentement extraits. Cette dernière phase est sans doute la plus critique, et il n'est pas rare de voir des Araignées coincées et agonisantes, les pattes non dégagées, ou obligées de rompre l'appendice à son articulation hanche-trochanter (plus rarement tibia-patella).

La nouvelle cuticule, souple pendant quelques dizaines de minutes, permet l'augmentation de volume nécessaire à l'organisme. À ce moment, l'Araignée doit impérativement faire bouger chacune de ses articulations périodiquement, sans quoi elle en perd la mobilité.

À l'approche de la mue, plusieurs modifications peuvent être observées. Tout d'abord, au niveau comportemental, le jeûne et une relative inactivité est la règle pendant un à quinze jours environ. Ensuite, l'aspect même de l'Araignée se modifie : sa coloration s'assombrit et se terni (la nouvelle cuticule est alors en place sous l'ancienne ; les nouvelles soies, couchées, sont d'ailleurs visibles par transparence), et les anciennes soies sont souvent en partie tombées, brisées par les chocs inévitables que leur impose la vie mouvementé de l'Araignée.

Juste au moment de l'extraction de l'ancienne peau, l'araignée peut apparaître légèrement brillante, comme «mouillée» ou «grasse». Cet aspect est dû à la sécrétion d'un fluide favorisant le glissement des membres hors de l'ancienne cuticule.

Après la mue, il est fréquent d'observer une teinte de fond bleuâtre ou verdâtre sur tout le corps de l'araignée, lui donnant un aspect quelque peu étrange surtout sur une photographie (la lumière des flashes met cette coloration particulièrement en valeur). D'autre part, le profil du céphalothorax est plus arrondi, et les yeux qui n'ont pas encore occupé tout le volume de la nouvelle cuticule cornéenne ont un aspect inhabituel.

La vielle cuticule, nommée exuvie, est abandonnée sur place par l'araignée. Bien souvent, on la confond avec un cadavre desséché, mais outre le fait que ce dernier est rarement laissé en place par les nécrophages (fourmis), il présente des pattes recroquevillées et un céphalothorax intact, non «décapsulé» comme celui de l'exuvie.

Les araignées sédentaires, surtout celles à toile non géométrique, incorporent souvent les débris de leur exuvie à la toile, mêlés aux restes des proies.

Le nombre de mue est très variable, de quatre ou cinq à peine pour les petites araignées vivant moins d'un an à plus de douze pour les espèces pérennes ou de grande taille.

La dernière mue est caractérisée chez les entélégynes par l'apparition des caractères sexuels secondaires, épigyne chez la femelle, bulbes copulatoires des pédipalpes et excroissances du cymbium, etc. chez les mâles (au stade précédant cette dernière mue, le tibia des pattes-mâchoires des mâles est gonflé, laissant apercevoir par transparence les excroissances à venir).

C'est aussi le moment d'apparition des colorations et des pilosités de cour des mâles qui en sont pourvu. Tous ces caractères sont souvent indispensables à l'identification d'une espèce, et aussi est-il très utile de garder certains spécimens en élevage jusqu'à leur mue sexuelle. Dans nos régions, seules les Mygales et la famille labidognathe des Filistatidae ont des femelles capables de muer après avoir pondu une première fois. Leur longévité est très élevée, probablement supérieure à la décennie.

Depuis sa sortie de l'oeuf, une jeune araignée passe par différents stades de croissance mais ne subit pas de métamorphose. Ces stades ne sont guère évidents à déterminer, les caractères les identifiant étant particuliers à chaque espèce. On prendra en compte, par exemple, le nombre et la disposition des épines ou des trichobotries sur les pattes, le nombre de denticules à la marge des chélicères ou aux griffes des pattes.

On comprend dès lors mieux la difficulté de travail que rencontrent les écologues, qui récoltent toujours une proportion plus ou moins importante d'araignées immatures dont on ignore l'âge mais aussi qu'il est souvent difficile d'identifier, en l'absence de caractères sexuels.

       


Un Thanatus major errant sur le sable d'une dune. Son camouflage est un peu perturbé par sa patte II de gauche, récément renouvellée et de couleur un peu verdâtre.
Mucchiatana, 1999.

L'aptitude à perdre volontairement une patte, nommée autotomie, permet à l'araignée d'échapper à un prédateur en lui abandonnant son appendice.

Les pattes ainsi perdues sont régénérées à la mue suivante, sous une forme plus grêle et incomplètement armées d'épines et d'organes sensitifs, puis sous une forme complètement normale après encore une mue.

L'articulation qui se rompt n'est pas n'importe laquelle, mais celle séparant la hanche du trochanter, ou plus rarement et presque uniquement chez les plus petites espèces celle qui sépare la patella du tibia.

À ces endroits, l'hémorragie est minimale et ne met en cause l'intégrité de l'organisme. Une araignée peut ainsi survivre avec une, deux ou même parfois trois ou quatre pattes en moins. Les mâles adultes sont aussi assez souvent trouvés avec une seule patte-mâchoire.