Les déplacements et la perception de l'environnement

La musculature des pattes et des autres appendices céphalothoraciques n'est capable que de contracter les articles : les araignées n'ont pas de muscles extenseurs.

L'extension des pattes est provoquée par une maîtrise de la pression de l'hémolymphe à l'intérieur des articles.

L'eau étant incompressible, une pression élevée au départ de la patte se transmet, intacte, vers son extrémité : la patte se tend.

La force et la rapidité de cet hydrosquelette sont extraordinaires, permettant à des araignées comme les Salticidae d'effectuer des bonds soudains de plus de dix fois la longueur de leur corps pour capturer une proie.

Pour illustrer le principe de ce système hydraulique, on peut pincer la hanche ou le trochanter d'une patte sectionnée fraîche (la conservation en alcool rigidifie parfois les membranes articulaires) : plus la pression appliquée s'élève, plus la patte se tend. Les épines de cette patte, creuses et emplies d'hémolymphe, se dressent alors à la verticale.


Un grand scorpion à queue jaune, Euscorpius flavicaudis, tient une jeune mygale Cteniza sauvagesi dans ses pinces. Une piqûre lui a été porté sur le côté gauche du céphalothorax. Une goutte verdâtre d'hémolymphe s'en échappe.
Ajaccio, 1994.

Une autre illustration est donnée par la technique de conservation à sec des grosses araignées : on en pique une fraîchement morte avec une fine aiguille de seringue dans le céphalothorax au niveau de la bouche, puis on injecte doucement de l'alcool à 70°. Les pattes, recroquevillées sous le corps de l'araignée morte, s'étendent au fur et à mesure de l'injection jusqu'à leur maximum d'extension.

Après traitement de l'abdomen (incision ventrale pour extraire les organes puis remplissage avec du coton pour les très grosses araignées, ou injection d'alcool par l'extrémité postérieure), l'animal peut être classiquement maintenu sur plaque de liège ou de polystyrène par des aiguilles jusqu'à ce que la dessiccation rigidifie définitivement les articulations.

La pression de l'hémolymphe des araignées a pu être mesurée, et elle est effectivement très élevée, atteignant les valeurs impressionnantes de 400 à 500 grammes par centimètre carré (par comparaison, l'hémolymphe des insectes est à une pression de quelques grammes par centimètre carré). On comprend alors que la moindre blessure entraîne fréquemment une telle hémorragie que la mort est inévitable (voir l'image ci-dessus).

Les araignées se déplacent très habilement, tant sur le substrat pour les espèces errantes que sur les fils de soie des toiles pour les sédentaires. Ces dernières disposent de trois griffes armées de denticules à l'extrémité des tarses, ce qui leur donne une excellente accroche.

Les araignées errantes disposent, elles, de touffes de soies villeuses, les fascicules unguéaux à l'extrémité des tarses et les scopulas sous les tarses et les métatarses, leur permettant d'adhérer par capillarité au film aqueux recouvrant les objets. C'est ainsi que des espèces comme Zoropsis spinimana (Dufour) sont capables de marcher à l'envers, au plafond d'un appartement, ou que les araignées-loups du genre Arctosa courent littéralement à la surface d'un plan d'eau calme.

La seule araignée subaquatique d'Europe, l'Argyroneta aquatica (Clerck), absente de nos régions insulaires, se déplace sous l'eau en nageant avec ses pattes, un peu à la manière de certains crabes.

Une autre araignée aquatique, la grande dolomède Dolomedes fimbriatus (Clerck), est capable de se déplacer sous l'eau en s'agrippant aux tiges des plantes. L'air emprisonné dans sa toison soyeuse la fait remonter à la surface comme un bouchon dès qu'elle lâche prise.

Les déplacements aériens chez les araignées sont surtout le fait des juvéniles, essaimant ainsi à distance du lieu de naissance et occupant des espaces libres. Ce «vol» n'est bien sûr pas actif, les araignées ne disposant d'aucun organe comparable aux ailes des insectes.

La méthode consiste à filer dans un vent chaud un ou plusieurs longs fils de soie légère qui, par leur surface importante et leur légèreté offrent une prise suffisante au vent pour entraîner l'Araignée aéronaute dans l'atmosphère. Les individus qui doivent essaimer le font souvent en cohorte, les jeunes issus d'un même cocon partant pratiquement au même moment. Le ciel peut se retrouver ainsi envahi de myriades de fils irisés, nommés fils de la vierge et qui ont même déjà été pris pour des Objets volants non identifiés (O.V.N.I.) par des témoins étonnés ! L'atterrissage en masse des Araignées donne lieu également à des phénomènes marquants, surtout quand il se produit sur les draps blancs juste étendus au soleil Ces essaimages se produisent principalement en automne et au printemps, saisons d'émergence des cocons. Les familles les plus constantes sous nos cieux méridionaux sont les Lycosidae, les massives Thomisidae, mais aussi les Linyphiidae (les membres de la sous-famille des Erigoninae, tous très petits, sont connus pour essaimer même à l'âge adulte), les Zora La position que prend l'Araignée quand elle cherche à essaimer est caractéristique : perchée au plus haut de la brindille, de la branche, ou du piquet de clôture choisi comme « piste de décollage », elle s'agrippe fermement par ses griffes et, abdomen tendu vers le ciel, laisse le vent étirer la soie émise par les filières. Quand elle sent que la traction est suffisante, elle lâche prise et commence un vol d'une durée et d'une portée très variable (de quelques mètres à plusieurs dizaines de kilomètres). Un tel voyage est très risqué, d'une part en raison des oiseaux insectivores les capturant au passage, mais surtout parce que l'Araignée ainsi aéroportée ne maîtrise en rien son lieu d'atterrissage. La présence de telles voyageuses dans l'estomac de truites venues les gober lors d'une arrivée sur l'eau d'un lac ou d'une rivière est là pour en témoigner.


Une jeune araignée-crabe Xysticus se perche à l'extrémité d'un rameau et sécrète un long fil de soie dans le vent chaud d'une matinée d'automne. Quand ce fil offrira assez de prise au vent, l'araignée aéronaute prendra l'air.
Ajaccio, 1992.


Le système nerveux central des araignées est localisé autour de la région antérieure du tube digestif.

Les différents ganglions nerveux y sont réunis en une masse bilobée compacte :

(1) la masse ganglionnaire située au-dessus de l'oesophage, ou syncérébron, reçoit les nerfs optiques au niveau d'un protocérébron, très développé chez les araignées dotées d'une bonne vue, et les nerfs chélicériens au niveau d'un tritocérébron ;

(2) la masse ganglionnaire sous-oesophagienne est constituée par les ganglions sous-oesophagiens, d'où sont issus les nerfs des pattes et pédipalpes, et par les ganglions abdominaux d'où sont issus les nerfs du pédicule et de l'abdomen.

Les neurones des araignées sont relativement concentrés et occupent un volume plus important, proportionnellement à la masse corporelle, que chez n'importe quel autre arthropode.

Ce développement est dû à l'extrême étroitesse du tube digestif, rendue possible par l'alimentation liquide résultant de la digestion externe : une nourriture solide, comme c'est le cas chez la plupart des insectes par exemple, impliquerait un diamètre intestinal important, et donc limiterait le volume du «cerveau».

 


Les modes de perception de l'environnement chez les araignées sont des multiples natures :

(1) La chimioreception (sens du «goût» : chimioreception de toucher ; sens de «l'odorat» : chimioreception à distance) est très développée.
Les molécules chimiques sont captées par des soies creuses, peut-être aussi par des orifices épidermiques, et leur nature est analysée par le système nerveux central.
Ces récepteurs sont rassemblés essentiellement sur les pédipalpes et, dans une moindre mesure, sur les pattes ambulatoires.
Les proies capturées sont ainsi, préalablement à toute consommation, «goûtées» par les pédipalpes.
Cependant, le goût de l'aliment est plus finement apprécié au niveau de la bouche et une proie acceptée par les pédipalpes peut être rejetée au moment du repas.
Ce sens de l'odorat est porté à son paroxysme chez les mâles d'araignées qui, comme beaucoup d'autres mâles d'arthropodes, sentent les phéromones sexuelles des femelles à des distances considérables. Cette recherche vitale de l'autre sexe est, chez les araignées, intimement liée à l'imprégnation des fils de soies par les odeurs phéromonales de la femelle. Ainsi, le mâle errant est capable de reconnaître le fil de sécurité laissé en permanence derrière une femelle et même de le suivre dans la bonne direction sans se tromper. Les fils des toiles sont également odorants, et il est probable que les phéromones produites par les araignées sédentaires, qui bien sûr ne laissent pas de fils à la traîne, soient portées par l'air jusqu'aux mâles.

(2) Le sens tactile est probablement le plus développé chez de nombreuses familles d'aranéides.
Il faut ici comprendre que les araignées touchent aussi bien le substrat (détection des vibrations occasionnées par la marche d'une proie sur le sol, d'une feuille, voire même à la surface de l'eau, ou par les soubresauts de l'insecte empêtrés dans un piège de soie) que l'air (détection des mouvements par les ondes qu'ils occasionnent dans l'air : faculté sensitive à rapprocher de ce qu'est pour nous l'audition).
Cette sensibilité est due à des productions épidermiques de deux sortes, peut-être de trois :

  • Les soies sensorielles, essentiellement des trichobotries (soies très mobiles, fines et longues, insérées dans une petite cupule épidermique et reliées à un nerf).
    Leur disposition, sur les pattes en particulier, est utilisée en systématique pour identifier les plus petites araignées de nos contrées, les Linyphiinae en particulier.
    D'autres soies, plus courtes et à la cupule d'insertion plus discrète, semblent être des formes simplifiées ou régressées de ces trichobotries.
  • Les organes lyriformes se présentent sous l'aspect de fissures épidermiques perçant les plaques sclérotisées.
    Elles peuvent être isolées ou groupées, et sont sensibles à la pression exercée sur l'épiderme (sens du «toucher») ainsi qu'à la position du corps dans l'espace («équilibre»).
  • Les organes tarsales, qui sont des cupules sclérotisées de la face supérieure de tous les tarses, jouent peut-être un rôle dans l'olfaction ou dans la détermination du taux d'humidité de l'air.

(3) Les organes des sens les plus accessibles à notre conception de la perception, sont bien sûr les yeux.
Cependant, ils ne sont très souvent que des organes «accessoires» pour la plupart des araignées, qui vivent dans des univers tout de vibrations (de l'air, du substrat, des fils de soie) et de messages chimiques (odeurs, goûts).
Les caractéristiques de la vision des araignées sont les suivantes :

  • Seules les araignées sauteuses (famille des Salticidae) ont un besoin vital de la vue : aveuglée par un vernis opaque, une saltique sera incapable de se nourrir et périra rapidement.
    Par contre, une araignée comme la banale tégénaire (famille des Agelenidae) continuera de vivre avec un tel vernis déposé sur ses yeux : la prise de nourriture, la mue, et même l'accouplement et la ponte n'en seront guère affectés.
  • Situés à l'avant du céphalothorax, les yeux sont normalement au nombre de huit, bien qu'ils soient réduits à six chez la plupart des familles haplogynes, voir même à quatre, à deux ou à aucun chez les araignées complètement cavernicoles.
  • Tous les yeux des araignées sont simples, dans ce sens qu'ils ne sont pas composés d'une multitude de lentilles comme les yeux composés des insectes mais d'une seule lentille.
    Seuls les yeux médians antérieurs sont capables d'une vision directe avec leurs cellules sensitives pointées vers l'extérieur, et ils sont en outre dotés d'une musculature permettant les mouvements de rétine autorisant la mise au point.
    Les autres yeux sont indirects, la lumière devant traverser les cellules sensitives qui lui «tournent le dos», se réfléchir sur le tapetum lucidum du fond de l'oeil pour enfin les exciter. Cette disposition rend les yeux indirects très brillants, blancs, en particulier quand la lumière du flash les illumine.
    Ces yeux indirects sont pleinement efficaces par faible luminosité, de nuit, et caractérisent les araignées effectivement nocturnes.
    Chez les familles ne possédant que six yeux, ce sont les médians antérieurs qui manquent.
  • Outre la lumière visible (les couleurs au sens ou nous l'entendons), détectée chez toutes les araignées munies d'yeux, certaines espèces au moins sont capables d'analyser la lumière polarisée.
    Une telle faculté est pleinement efficace pour s'orienter sur une toile dont les fils de soie polarisent la lumière, ou plus généralement pour s'orienter par rapport à la position du soleil dans le ciel (même une simple trouée de ciel bleu entre les nuages) pour retrouver son repaire.
Copyright U Marinu/Norbert VERNEAU - mars 2002